[Jeunes africains esclaves en Libye] Et si cette ignominie cachait autre chose ?

[Jeunes africains esclaves en Libye] Et si cette ignominie cachait autre chose ?

Face à l’indignation générale, place est donnée à l’émotion et non à la raison. Et c’est bien connu comme le disait le président académicien Léopold Sédar Senghor, l’émotion est nègre, la raison hellène. Après avoir vu les images diffusées par la CNN américaine, toute l’Afrique est secouée, abasourdie et incrédule. Partout s’élèvent des voix pour condamner avec la plus extrême vigueur ce qu’Alassane Ouattara et d’autres chefs d’Etat ont appelé une ignominie. L’Afrique se retrouve tout d’un coup replongée dans le passé honteux. Une honte encore plus accentuée d’autant qu’elle ressent en son for intérieur un sentiment de culpabilité qu’elle voudrait partager avec l’Europe, voire avec tout l’occident. Pour une fois, l’Union Africaine affiche une unanimité pour fustiger l’horreur perpétrée par un membre éminent de la famille africaine, en l’occurrence la Libye qui a miré au leadership continental du temps du colonel Kadhafi.

Aujourd’hui, il serait mal venu d’émettre quelques critiques sur le rapatriement que les pays africains s’efforcent de faire pour évacuer leurs ressortissants de la Libye afin de se donner bonne conscience ; comme pour se repentir de n’avoir pas assez fait pour retenir les jeunes aventuriers dans leurs pays d’origine. Et le geste accompli en faveur de ses nouveaux damnés de la terre par les sportifs Samuel E’too et Didier Drogba, mérite qu’on le salue. Hélas, la bonne volonté de ces deux stars du football mondial ne suffit pas. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer de détresse d’une jeunesse désœuvrée prête à tout tenter, même le diable pour trouver un eldorado qui lui permettrait d’améliorer ses conditions de vie souvent misérables dans leur propre patrie. Les politiques qui déversent des larmes de crocodile et s’époumonent à condamner le comportement inhumain de certains libyens, devraient prendre le relais et s’investir dans la création d’emplois et d’auto-emplois. Autrement, la solidarité de ces deux éminents sportifs ne servira à rien s’il faut partager aux rapatriés les sommes récoltées. Les États devraient mettre en place une sorte de coopérative géante dans laquelle chaque bénéficiaire de l’aide devra à son tour s’impliquer en s’inventant une activité, convaincu que le travail nourrit l’homme.

Toutefois, les leçons que ce drame humain inspire, outre le dégout, doivent s’étendre à une réflexion plus approfondie non seulement sur les motivations invoquées par la jeunesse africaine pour tenter l’aventure au prix de la vie bien souvent, mais aussi et surtout sur l’insertion des rapatriés dans la société à laquelle ils appartiennent. Il importe de relever que tous ces jeunes sont partis volontairement en Libye avec l’espoir de traverser la méditerranée pour chercher fortune en occident. Malgré les nombreux drames que cette traversée a occasionnés et en dépit de toutes les campagnes menées pour les dissuader d’entreprendre le saut dans l’inconnu, ces jeunes n’ont voulu écouter personne. Ils se sont obstinés malgré le traitement inhumain que ceux d’entre eux subissent une fois passé le Rubicon de l’Europe tant convoitée. Il faudrait donc déradicaliser ses jeunes qui pensent mordicus qu’en dehors de l’Europe il n’y a point de salut. Ils doivent savoir que la plupart des cadres qui dirigent les pays africains aujourd’hui a étudié et obtenu ses diplômes en Afrique.  Ces jeunes doivent aussi savoir que le pourcentage de ceux des immigrés qui ont réussi et sont une référence est infime. Cela explique les raisons pour lesquelles beaucoup d’immigrés ayant échoué ne retournent plus dans leurs pays d’origine. Inutile de clouer l’Europe au pilori dans une recherche absurde de partage de responsabilité. La solution à la pauvreté qui pousse la jeunesse à l’aventure se trouve avant tout en Afrique. Et comment ne pas incriminer les politiques de développement qui ne font qu’enrichir quelques-uns, notamment les élites qui ont la charge de diriger le destin commun de leurs pays.

L’émotion passée, le temps est venu de trouver des solutions à certaines équations. A crime accompli, il ne suffit plus de se cacher la face avec les doigts d’une main, mais se livrer à une vraie réflexion sur le comment, le pourquoi et les implications que le retour de ces jeunes de zones en guerre peut susciter. En effet, pourquoi des jeunes gens, au mépris du risque, acceptent de se rendre dans un pays démembré où des fractions antagonistes se combattent au nom de l’idéologie djihadiste ? Peut-on penser un seul instant que ce sont des libyens non fanatisés qui ont réduit les migrants en esclavage ? En quoi a consisté le travail de ces esclaves et dans quel contexte ? Est-ce possible que parmi ces migrants quelques-uns ne se soient pas laissés tentés par le djihadisme, par conviction ou par nécessité ? Ces derniers ne peuvent-ils pas être infiltrés parmi les rapatriés en mission pour Daesh ? Nos pays ont-ils pris un minimum de précaution en accueillant ces esclaves libérés ?

En conclave au Mali, il y a quelques années, des membres d’Interpol avaient poussé la réflexion sur le fait que des riches hommes d’affaires envoyaient des maliens dans les pays arabes se former en vue de diriger des boutiques une fois de retour au pays. Ces experts avaient émis l’hypothèse que la générosité de ceux qui les avaient envoyés en Afrique du Nord d’où ils partaient ensuite poursuivre leur formation au Pakistan, en Syrie ou au Yémen, pour ne citer que ces pays, pouvait cacher des intentions criminelles d’extrémistes dissimulés transformés en bienfaiteurs. Les autorités maliennes d’alors avaient mal pris la remarque des experts qu’elles jugeaient comme une immixtion intolérable dans les affaires d’un pays souverain. La suite a démontré que les experts ne s’étaient pas trompés. Idem en Côte d’Ivoire où l’ancien ministre d’Etat, Amara Essy, avait prévenu que des extrémistes formés à l’étranger étaient déjà en place en Côte d’Ivoire. Personne ne voulut l’écouter. Pire, d’aucuns avaient même déjà commencé à lui faire un procès en sorcellerie pour avoir voulu attirer l’attention des autorités. Hélas, l’attaque de Grand Bassam est venue lui donner raison.

Depuis la diffusion du reportage de la CNN, nombreux sont les ivoiriens qui se posent la question suivante : … et si cette ignominie libyenne cachait autre chose de non avouable ? Ces rapatriés sont-ils tous de bonne foi et de bonne volonté ? Sont-ils tous victimes de la barbarie dans une Libye sans loi depuis bientôt dix ans ?

Certes, comparaison n’est pas raison, mais dans le contexte où vit l’Afrique avec les attaques terroristes, ne serait-il pas indiqué qu’une attention particulière soit réservée aux rapatriés de Libye qui ont côtoyé malgré eux des terroristes ? Du reste, d’aucuns se demandent pourquoi certains rapatriés cachent-ils leur visage face aux caméras de télévision. De quel crime étaient-ils coupables en émigrant pour vouloir se dissimuler ?

Enfin, une fois n’est pas coutume, nous devons remercier le gouvernement ivoirien pour sa disponibilité et sa promptitude à voler au secours de nos compatriotes en danger hors des frontières nationales, nonobstant les nombreux problèmes auxquels des solutions urgentes sont attendues d’eux. Cela rassure les ivoiriens de l’étranger qui se sentent bien souvent abandonnés.

KTP ((journaliste) et MKK (ancien d’Interpol)

 

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