[Reportage] Urgence éducative à Bouaké Gonfreville, des écoles en ruine, des rêves brisés

[Reportage] Urgence éducative à Bouaké Gonfreville, des écoles en ruine, des rêves brisés

L'urgence éducative s’impose à Bouaké Gonfreville, où des écoles en ruine mettent en danger la vie des élèves et des enseignants.

Bouaké, Côte d’Ivoire, le 13 octobre 2023 (crocinfos.net)—Donner de bons résultats suppose qu’on travaille dans de bonnes conditions. Ce qui est loin d’être le cas dans quatre groupes scolaires de l’Inspection de l’Enseignement Préscolaire et Primaire (IEPP) de Bouaké Gonfreville qui compte des milliers d’enfants impactés par cette situation alarmante. Plusieurs écoles de ces groupes constituent depuis des années un réel danger pour les élèves, en raison de la dégradation avancée des toits et des murs qui pourraient s’effondrer à tout moment. Une visite de ces lieux a révélé le grand danger auquel sont exposés les apprenants et leurs enseignants.

La classe de CM2 B à Diezou Rails est un réel danger pour les enfants.

La classe de CM2 B à Diezou Rails est un réel danger pour les enfants.

C’est le quartier ”Zone” de Bouaké, qui nous accueille ce jeudi 28 septembre 2023, un peu plus de deux semaines après la rentrée des cours qui a eu lieu le 11 septembre. Il est environ 10h30min, peu après la fin de la récréation, quand nous arrivons au Groupe Scolaire Diezou Rail 2. La classe de CM2, censée être un lieu d’apprentissage serein pour préparer l’examen du CEPE et le concours d’entrée en 6e, est en réalité un lieu de peur. Les tuiles fanées laissent passer l’eau de pluie, constituant ainsi une menace constante pour ces écoliers.

Une lutte quotidienne pour la survie

La crainte d’être mouillés et de prendre froid en cas de pluie, ainsi que la menace permanente des tuiles cassées suspendues au-dessus de leur tête, hantent les élèves. Les salles de classe sont inondées, obligeant les enseignants à pousser les tables-bancs vers les endroits où les tuiles résistent encore, pour protéger les élèves du danger imminent. Dans ce triste décor, les études deviennent un défi, une lutte quotidienne pour la survie. La gorge nouée, cet enseignant – quelque peu réticent – qui nous parle sous le sceau de l’anonymat pour ne pas s’attirer la foudre des responsables, trouve du mal à expliquer le triste spectacle. « En cas de pluie, les tables-bancs sont poussés vers les endroits dont les tuiles résistent encore pour permettre aux élèves exposés de se mettre à l’abri de la pluie et du danger que constituent les vieilles tuiles abîmées », indique-t-il.

Cette classe, à Diezou 2 a perdu sa toiture, exposant les élèves à la pluie et au soleil…

Cette classe, à Diezou 2 a perdu sa toiture, exposant les élèves à la pluie et au soleil…

Le même scénario se répète dans d’autres écoles du quartier ”Zone” comme à Diezou 2 et à Gnankoukro, un sous quartier de Gonfreville. Les classes de CM2, de CE2, de CE1 et de CP1 sont toutes exposées aux intempéries. Les toits pourrissent, laissant les élèves vulnérables face aux éléments naturels. La pluie et le soleil pénètrent impitoyablement dans les salles de classe, perturbant l’apprentissage et mettant en danger la vie des jeunes écoliers.

Au Groupe Scolaire Gonfreville 2, les plafonds des classes sont tombés en raison de la vétusté des tôles. Les élèves et les enseignants vivent dans la peur constante d’un effondrement imminent. Même les toilettes, normalement un lieu sûr, sont devenues dangereuses avec des tuiles délabrées menaçant de s’effondrer à tout moment. Comme s’ils s’étaient passé le mot, les apprenants s’en remettent à Dieu et sont dans la prière. « On prie Dieu pour qu’il continue de nous sauver ».

Face à cette situation alarmante, une question persiste : comment ces jeunes apprenants peuvent-ils se concentrer sur leurs études dans un environnement aussi précaire et menaçant ?

Une attente qui n’arrive pas

C’est une réalité palpable. Dans toutes ces écoles à problèmes, rien n’évolue. Pourtant, ça dure des années et des années. Si hier, les comités de gestion (COGES) des écoles avaient des ressources provenant des cotisations des élèves et capables de réaliser de grandes choses, aujourd’hui, il n’y a plus d’entrées d’argent du fait de la décision gouvernementale d’interdire les contributions des parents. L’État a décidé de subventionner les frais scolaires en apportant une quote-part aux COGES dont le montant varie selon les écoles et les inspections. Afin de leur permettre juste de faire face à de petites charges notamment celles liées à l’achat de matériel de travail et à de petites actions d’aménagement. Mais, là encore, la mise à disponibilité de ce fonds pose souvent problème. « Au cours de l’année scolaire 2022-2023, le groupe scolaire Gnankoukro n’a rien perçu. Nos conseillers COGES nous ont informés que nous allions recevoir en deux tranches la somme qui devrait nous revenir. Une somme qui tourne autour de 3 millions deux cent mille francs CFA. Mais jusqu’à ce que l’année scolaire 2023-2024 débute, nous n’avons pas eu de nouvelles concernant cette somme et nous continuons d’attendre parce qu’on ne sait pas ce crée le blocage », explique M. Mené, le président du COGES de ce groupe scolaire. Pour ce dernier, même pour fournir de la craie et d’autres matériels de travail aux écoles, ce sont des commerçants qui sont approchés. « On leur demande de nous les donner à crédit en leur promettant de payer lorsque l’Etat nous versera nos subventions », révèle-t-il, s’en remettant à des personnes de bonne volonté pour sortir ces écoles de l’ornière.

L’inspecteur Ouattara Lacina compte sur l’État et les bonnes volontés

L’inspecteur Ouattara Lacina compte sur l’État et les bonnes volontés

L’inspecteur de l’enseignement primaire et préscolaire (IEPP) de Bouaké Gonfreville que nous avons rencontré après notre tour dans les écoles confirme l’information. Il abonde presque dans le même sens que le président du COGES du groupe scolaire Gnankoukro. Pour Ouattara Lacina, l’État fait bien de prendre en charge une partie des fonds alloués aux Comités de gestion. Malheureusement, reconnait-il, ces fonds, au niveau des attributions des COGES, ne peuvent servir qu’à faire des réhabilitations légères dans la mesure où les fonds ne sont pas aussi consistants que cela. « En ce qui concerne mes COGES, malheureusement, à part le tout premier virement, toute l’année 2021-2022, il n’y a pas eu de dotation. Ce qui fait que les COGES sont un peu limités pour prétendre faire des réhabilitations. Mais ce qu’il faut signaler, c’est que ce n’est pas du tout du fait de l’État si ces virements n’ont pas été faits.  Parce qu’il était question pour les COGES d’avoir des comptes Trésor ou des banques fiables. Ce qui a fait qu’il y a certains RIB qui sont arrivés avec des erreurs. Même à Abidjan, il y a eu des comptes qui ont été ouverts mais avec des RIB qui avaient des numéros erronés. C’est ce qui a gêné quelque peu les virements selon ce que nous a expliqué la hiérarchie », justifie l’inspecteur. Et de poursuivre : « Nous avons donc fait à nouveau des bordereaux par rapport aux différents RIB. Comme vous le savez, le système de décaissement de l’État est sur calcul. Jusqu’à présent, nous sommes dans la même situation. Mais nous ne sommes pas les seuls concernés par cette situation. Il y a l’IEPP Bouaké N’gattakro dont une partie des COGES n’a pas été virée. Il y a également l’IEPP Bouaké Koko. Je ne vous parle que de la DREN de Bouaké 2. Il y a d’autres DREN où des difficultés du même genre existent. Nous espérons que ces fonds vont arriver ».

L’urgence d’une intervention

Le mal est là, subi par des milliers d’enfants de cette IEPP et les enseignants. Il est impératif d’agir maintenant. Chaque enfant mérite un environnement éducatif sûr et propice à l’apprentissage. Il faut garantir un avenir meilleur à ces jeunes apprenants.

Les autorités locales, les organisations non gouvernementales et tous les citoyens de bonne volonté doivent se mobiliser. L’inspecteur Ouattara Lacina affirme avoir saisi par courrier, la mairie et le Conseil régional pour que ces collectivités locales apportent leur soutien dès son arrivée à la tête de cette inspection en 2021. « Mais comme vous le savez, eux, ont des budgets triennaux. Quand des choses ne sont pas planifiées, on ne peut pas ni imaginer ni aller à l’improvisation. C’est ce qui explique peut-être que ces collectivités territoriales n’ont pu intervenir. Nous avons tout de même très bon espoir qu’elles interviendront et que nos écoles seront restaurées comme il se doit », explique l’inspecteur pédagogique qui salue l’important soutien de la Directrice régionale de l’Education nationale (DREN) et du préfet de région en dépit des difficultés.

Le danger est réel comme ici, en haut, sur la tête des apprenants et enseignants

Le danger est réel (comme ici), en haut, sur la tête des apprenants et enseignants.

Il est temps d’investir dans l’éducation, de reconstruire ces écoles délabrées et de fournir des installations sûres et dignes aux élèves et aux enseignants. Chaque contribution compte et peut faire la différence.

Il faut transformer ces écoles en havres de savoir, où les rires des enfants remplaceront les craintes, où les salles de classe seront remplies d’espoir et de possibilités. Il faut unir les forces pour offrir aux générations futures l’éducation qu’elles méritent, dans un environnement sûr et inspirant.

OUATTARA ABDOUL KARIM, correspondant dans le Gbêkê

Encadré

Les pluies, maitresses du programme scolaire

Ils devraient être en sécurité pour mieux apprendre. Mais, les élèves de ces écoles en ruine ont d’autres préoccupations : celles de se protéger de la pluie et du danger que constituent les vieilles tuiles et tôles usées qui peuvent à tout moment leur descendre dessus. Une peur constante qui les éloigne de la concentration dont ils ont besoin pour s’affirmer. Surtout pour les élèves de CM2 qui affrontent l’examen du CEPE et le concours d’entrée en 6e. Dans une de ces écoles, le taux de réussite était de 33% en 2023. Un taux qui aurait pu monter à 50% si les conditions étaient réunies pour un bon apprentissage. Les cours commencent à 10h après la récréation dans cette école, selon plusieurs enseignants. En raison des inondations causées par les pluies, les élèves perdent une à deux heures chaque jour pour nettoyer les salles avant de commencer les cours. Malgré l’introduction de la double vacation pour utiliser les salles disponibles, les retards persistent, compromettant le programme scolaire. L’inspecteur Ouattara Lacina soutient l’utilisation de la double vacation pour assurer la sécurité des élèves, mais reconnaît que cela réduit le temps d’enseignement.

O.A.K

[Reportage vidéo] Urgence éducative à Bouaké Gonfreville. Les élèves ont été sortis de leurs classes pour une terrasse plus sécurisée, sous la forte pluie du jeudi 12 octobre 2023👇.

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