[Interview] Pr Innocent Adoubi (Directeur du Programme de lutte contre le cancer) révèle: « Le cancer de la prostate détecté tôt se guéri définitivement »
En marge d’un atelier scientifique internationale qui s’est tenue à Abidjan, du 18 au 20 novembre sur le cancer de la prostate, l’un des plus éminents spécialistes ivoiriens donne ici, entre autres, des conseils bien utiles.
Qu’est-ce que le cancer ?
Le cancer est une maladie de la cellule humaine. C’est une maladie qui se caractérise par le fait que dans l’organisme, des cellules se rebellent et se multiplient de façon désordonnée. Ces cellules ne sont plus contrôlées par le système immunitaire et par les différents mécanismes de défense de l’organisme. Ce qui conduit à la destruction de l’organe où des tumeurs apparaissent. Ces cellules cancéreuses disséminent sur d’autres organes à travers le sang. C’est ce qu’on appelle les métastases. Le cancer est donc une maladie qui est liée à l’anomalie cellulaire et cette anomalie cellulaire va se propager, si rien n’est fait pour l’arrêter par les traitements classiques dont nous disposons.
Quelles sont les causes du cancer?
La première cause du cancer, c’est le vieillissement. Nous avons environ soixante mille milliards de cellules dans le corps. Ces cellules s’autorégulent. Il y a environ deux cent millions de cellules qui sont remplacées chaque jour par l’organisme. Cette machinerie de l’organisme humain est très complexe, mais avec le temps, connaître des défaillances et entrainer le vieillissement du corps. On peut également citer des causes génétiques, c’est-à-dire l’hérédité. Si dans votre parenté, il y a eu des cas de cancer, ce sont des facteurs à risque. Mais ces cas de cancer liés à l’hérédité sont très rares. Les causes environnementales sont par contre, les plus fréquents. Le cancer était une maladie beaucoup plus rare, il y a soixante ans qu’aujourd’hui, parce que nous avons pris des habitudes qui vieillissent de façon beaucoup plus accélérée notre organisme.
Lesquels ?
Nous ne faisons plus d’exercices physiques. Nous vivons toujours dans des situations de stress. Les relations familiales, les relations sociétales se désagrègent, on se sent toujours sous pression. Il a été démontré que le stress est un accélérateur du vieillissement. Or le cancer lui-même est une maladie du vieillissement. La conséquence de cette situation de stress permanent, c’est que nous voyons de plus en plus de cancers chez des sujets de plus en plus jeunes. Malheureusement, nous n’utilisons pas les moyens de protection dont nous disposons. Les exercices physiques, la vie en société, les échanges entre amis ou parents, la nourriture équilibrée sont autant de moyens de protection contre le cancer. Les causes du cancer sont donc multifactorielles.
Quelle est la spécificité du cancer de la prostate ?
Le cancer de la prostate comme tous les autres types de cancer, est une maladie du vieillissement. Autrefois, ce sont des de soixante, soixante-dix ans voire soixante-quinze ans qui développaient des cas de cancers de la prostate. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a une particularité en Afrique noire et chez les Africains-Américains, Ces populations sont particulièrement exposées au cancer de la prostate. Parce qu’au sein de l’organisme chez le sujet noir, il y a un désordre hormonal particulier qu’on ne retrouve pas chez les populations blanches et en Asie. Cette particularité fait que chez le noir, on retrouve le cancer de la prostate, beaucoup plus tôt.
En Europe, en Amérique, chez les populations blanches et en Asie, la survenue du cancer de la prostate tourne autour de soixante-quinze ans, voire quatre-vingts ans. En Afrique et chez les noirs d’Amérique, on peut trouver le cancer de la prostate chez des sujets de quarante-cinq ans ou cinquante ans. Le cancer de la prostate est également beaucoup plus agressif et beaucoup plus mortel chez les sujets noirs que chez les autres races. Les raisons de cette particularité ne sont pas encore connues et les recherches continuent. Selon les statistiques dont nous disposons à Abidjan, le cancer de la prostate est le premier cancer de l’homme après cinquante ans. C’est pourquoi, le mois de novembre est le mois de mobilisation contre le cancer de la prostate en Côte d’Ivoire
Y a-t-il combien de types de cancers de la prostate ?
On détermine généralement, deux à trois types de cancer de la prostate. Mais le type le plus fréquent, c’est le cancer qui se développe aux dépens des cellules glandulaires de la prostate. Il y aussi des cancers qui se développent aux dépens des tissus appelés sarcomes, mais ceux-ci sont très rares. Nous avons donc trois types de cancers de la prostate, mais un type est prédominant. On l’appelle adénocarcinome. Il représente 98% des cas de cancer de la prostate. Cette forme de cancer est à distinguer de l’hypertrophie de la prostate qui est une tumeur bénigne qu’on peut enlever par une simple chirurgie en vue de permettre au sujet de bien uriner. Donc toute tumeur de la prostate n’est pas forcément un cancer. Il faut faire un prélèvement et l’analyser en laboratoire pour qu’on puisse dire si le sujet concerné a un cancer ou pas. La prostate qui est un organe sexuel de l’homme grossit avec l’âge. Ainsi, il éprouve des difficultés pour uriner, ou des difficultés pour garder longtemps l’urine. Ce qui l’oblige chaque nuit, à aller plusieurs fois aux toilettes. En tout état de cause, c’est l’urologue qui va faire la différence entre un cas de cancer ou un adénome qui est une tumeur bénigne qu’on enlève par chirurgie et le malade est guéri.
L’activité sexuelle a-t-elle une incidence ou non sur la survenue du cancer de la prostate ?
Aucun lien n’a encore été prouvé scientifiquement entre l’activité sexuelle et le cancer de la prostate. Ni dans un sens, ni dans l’autre. Pour l’heure, ce sont des hypothèses qui sont avancées, mais la preuve scientifique validée par les spécialistes de la question n’est pas encore faite. En tout cas, il n’y a pas de consensus chez les scientifiques sur cette question.
Vous évoquiez les activités dans le cadre de la lutte contre le cancer de la prostate durant tout le mois de novembre. Quelles sont ces activités ?
Nous appelons novembre, le mois bleu et il est consacré à la lutte contre le cancer de la prostate. Au cours donc de ce mois, nous organisons des campagnes de sensibilisation contre ce cancer en demandant aux gens de plus de quarante-cinq ans de consulter un urologue. Surtout dans nos pays le cancer de la prostate survient chez des sujets beaucoup plus jeunes. Mais, il faut reconnaître une chose, dans le cas du cancer du sein, il y a beaucoup d’activités qui sont organisées et on fait des dépistages collectifs. Dans le cas du cancer de la prostate, c’est plutôt des conseils qu’on donne. On fait des dépistages individuels. On observe des critères pour mettre en place un traitement. Un sujet peu avoir un cancer de la prostate qui ne va jamais se développer et qui ne va jamais le tuer. Et si on se mettait à faire des dépistages systématiques, on serait amené à traiter des gens qui n’en ont pas besoin.
Le traitement est-il donc lié au type de cancer de la prostate ?
Le traitement est lié au type de cancer de la prostate, à la particularité de l’Antigène prostatique spécifique ou PSA qui est un examen de sang qui traduit la possibilité d’avoir un cancer de la prostate agressif ou non et qui peut autoriser un traitement.
« On ne met pas sous traitement tous les sujets qui ont un cancer de la prostate parce que ces traitements ont des conséquences sur la libido, sur l’incontinence urinaire, sur l’état cognitif »
En faisant la PSA de manière systématique, on peut classer les individus, en individus à traiter systématiquement et en individus à observer. C’est très important. On ne met pas sous traitement tous les sujets qui ont un cancer de la prostate parce que ces traitements ont des conséquences sur la libido, sur l’incontinence urinaire, sur l’état cognitif, c’est-à-dire que cela peut entraîner des dépressions chez l’individu. Quand la libido prend un coup et que le malade devient capable d’honorer sa femme cela peut avoir sur lui des conséquences psychologiques graves et même sur sa vie de couple.
Le sujet atteint du type de cancer agressif de la prostate est-il pour autant fatalement condamné?
Pas nécessairement. Le cancer de la prostate détecté tôt se guéri définitivement à 100%. C’est très important de le souligner. C’est l’un des cancers les plus faciles à guérir, mais le traitement, malheureusement a des conséquences sur la vie affective du patient et cela demande beaucoup de psychologie.
En Côte d’Ivoire, les traitements du cancer de la prostate bénéficient-ils d’une subvention de l’Etat, à l’instar d’autres types de cancer ?
Malheureusement non. Le Programme national de lutte contre le cancer s’attache à sensibiliser le gouvernement pour une prise en charge du cancer de la prostate également. Si le cancer de la prostate touchait seulement des sujets de plus de soixante-quinze ans, un plaidoyer ne s’imposerait pas quand on sait que l’espérance de vie en Côte d’Ivoire est autour de soixante ans. Des individus plus jeunes qui sont encore productifs, encore utiles à la nation du point de vue économique sont eux-aussi touchés. Le gouvernement doit s’engager, non seulement dans l’accès aux médicaments, mais également pour la formation des urologues, dans la formation des médecins pour faire le dépistage et mettre à la disposition des Centre hospitaliers universitaires (Chu) et des autres formations sanitaires des laboratoires fiables capables de détecter les cancers de la prostate. C’est comme cela que nous allons pouvoir maîtriser cette pathologie qui a des taux de mortalité autour de 60 à 70% sur cinq ans.
Qui sont les sujets à risque et quels conseils leur donneriez-vous?
Le sujet à risque, c’est d’abord le sujet de race noir, c’est le sujet de plus de cinquante ans, c’est le sujet qui a dans sa famille des cas de cancer de la prostate. C’est aussi le sujet de cinquante-cinq ans qui lors d’un examen de routine à une PSA supérieur à 5. La normal étant comprise en 0 et 4. Et quand vous avez une PSA supérieur à 5 voire 10, il vous devez faire l’objet d’une surveillance et d’explorations.
« Des gens viennent parfois en consultation pour des douleurs de dos ou de la hanche pensant qu’il s’agit d’un simple rhumatisme, alors qu’il s’agit de cancer de la prostate métastatique. »
C’est donc très important de pouvoir définir le groupe sur lequel on va faire le dépistage qui est un dépistage individuel. Les patients viennent en consultation souvent à des stades où la maladie a déjà touché l’os. L’os, c’est le premier site de la métastase du cancer de la prostate. Des gens viennent parfois en consultation pour des douleurs de dos ou de la hanche pensant qu’il s’agit d’un simple rhumatisme, alors qu’il s’agit de cancer de la prostate métastatique. Tout sujet qui a plus de cinquante ans et ressent des douleurs osseuses doit être considéré comme ayant potentiellement un cancer de la prostate métastatique. Donc, Il doit consulter en urgence. De même, tout sujet de plus de cinquante ans qui a des difficultés urinaires ou qui va trop souvent aux toilettes et qui n’arrive pas à retenir ses urines, il faut l’explorer.
Quels sont les fréquences de mictions qui doivent alerter ?
Cinq à huit fois au cours de la nuit. Je pense qu’il faut une campagne de communication sur le cancer de la prostate en Côte d’Ivoire. Il faut dire dans cette campagne que tout sujet de plus de cinquante ans doit avoir fait au moins une fois au cours de sa vie, le dosage sanguin de la PSA pour savoir s’il est à risque ou pas. Cet examen se fait dans tous les Centres hospitaliers universitaires, les Centres hospitaliers régionaux ainsi que dans certaines structures privées. Cette PSA coûte de huit mille à douze mille francs Cfa. Si la PSA est normal, on peut attendre deux ans avant de la refaire.
Pourquoi faut-il une approche pluridisciplinaire pour la prise en charge médicale du cancer de la prostate ?
Dans la prise en charge du cancer de la prostate aujourd’hui, il y a plusieurs intervenants parce qu’on a remarqué que lorsque le patient est pris en compte dans sa globalité, les chances de guérison sont beaucoup plus grandes. Le cancérologue, la plus part du temps fait le traitement médical du cancer de la prostate, le traitement chirurgical est aussi un traitement de guérison du cancer de la prostate. Donc on est obligé d’associer les cancérologues chirurgiens. Le cancer de la prostate pose également des problèmes psychologiques. C’est pourquoi il faut associer les psychologues. Souvent dans le cancer de la prostate, il y a des douleurs, surtout quand il est à un stade avancé il faut donc associer des spécialistes de la douleur. Donc, c’est une prise en charge qui doit être globale, multidisciplinaire. Ce sont tous ces spécialistes qui travaillent ensemble pour proposer ce qu’on appelle des séquences thérapeutiques. Faut-il opérer d’abord ? Faut-il faire la radiothérapie d’abord, u le stade de la maladie ? Ne faut-il pas opérer le malade et faire la radiothérapie et de faire de la chimiothérapie ou ce qu’on appelle l’hormonothérapie?
Aujourd’hui en Côte d’Ivoire comme ailleurs dans le monde, tout cancer, que ce soit pour le cancer de la prostate ou autres, une équipe se réunit autour du dossier et décide du plan de traitement. C’est comme cela qu’on peut donner une meilleure chance de guérison au patient. Le patient ne doit pas rester sous la responsabilité d’un seul spécialiste. Cela aggrave le risque de décès.
Interview réalisée par Théodore Sinzé
Encadré
Dr Timothy D. Gilligan a partagé de nouveaux types de traitements
Dr Timothy D. Gilligan, membre de la société d’hématologie et d’ontologie médicale américaine a participé à l’atelier international sur le cancer de la prostate qui a lieu à Abidjan.
Il a partagé avec tous les spécialistes réunis lors de l’atelier, de nouveaux traitements du cancer de la prostate qui ont cours aux Etats Unis. Il s’agit entre autres, de nouveaux types de scanneur, de nouvelles façons de faire la radiothérapie ou encore les nouvelles thérapies génétiques qu’il compte apporter à la Côte d’Ivoire.
Le spécialiste américain pense que si le cancer de la prostate est si fréquent et si virulent chez les sujets noirs en Afrique, cela est lié à des implications biologiques avec une mutation génétique plus exacerbée et du fait que les patients n’ont pas un accès facile aux traitements. Aussi, conseille-t-il une consultation régulière et une prise en charge précoce pour une plus grande chance de guérison. Aux Etats Unis, au dire de Dr Timothy D. Gilligan, le brassage racial attenue cette fréquence du cancer de la prostate chez les sujets noirs.
Théodore S.
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